Bâtir une institution pour une meilleure reconstruction
Les attaques russes contre l’Ukraine ont rendu nécessaire la reconstruction d’infrastructures dans de nombreux endroits du pays, alors même que la guerre se poursuit. En janvier 2023, le gouvernement ukrainien a créé l’Agence pour la reconstruction et le développement des infrastructures de l’Ukraine (ci-après « l’Agence pour la reconstruction » ou « l’Agence ») qui relève du ministère du Développement des collectivités, des territoires et des infrastructures (ci-après « le ministère de la Reconstruction » ou « le Ministère »).
L’Agence est issue de la fusion entre l’Agence nationale des routes automobiles (Ukravtodor) et l’Agence nationale pour les projets d’infrastructure (Ukrinfraproyekt), sous une nouvelle direction. Elle est chargée de reconstruire les infrastructures critiques et les logements détruits ou endommagés en Ukraine, et est le premier exécutant des stratégies et priorités nationales dans ce domaine. À ce titre, l’Agence est aussi l’administrateur technique de l’Écosystème numérique de reconstruction pour une gestion responsable (Digital Restoration Ecosystem for Accountable Management – DREAM), qui couvre des projets en lien avec la reconstruction d’actifs matériels et d’infrastructures, quelles que soient les sources de financement ou les entités en charge.bb44e2ba3f3e
Les grands projets d’infrastructure attirent la corruption (plus encore en périodes de crise). La façon de prévenir le gaspillage intentionnel et/ou la mauvaise affectation de ressources rares au profit de réseaux corrompus, anciens ou nouveaux, est un sujet largement débattu, non seulement en Ukraine mais aussi au sein de la communauté internationale qui soutient le pays.8ddf3559e22f
Depuis que l’Ukraine a regagné son indépendance en 1991, elle est rongée par une corruption omniprésente.À la suite de la Révolution de la dignité, en 2014, l’Ukraine a lancé un projet global de réformes institutionnelles prévoyant la création de quatre nouveaux organes de lutte contre la corruption en 2015 : le Bureau national de lutte contre la corruption (National Anti-Corruption Bureau – NABU), qui enquête sur des cas de corruption de haut niveau ; le Parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption (Specialized Anti-Corruption Prosecution Office – SAPO), une unité indépendante au sein du Parquet général qui supervise les enquêtes du NABU et engage des poursuites dans les affaires pertinentes ; l’Agence nationale de prévention de la corruption (National Agency on Corruption Prevention – NACP), qui administre le système de déclaration d’avoirs et participe à l’élaboration de la politique de lutte contre la corruption ; l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs (Asset Recovery and Management Agency – ARMA), qui s’occupe du recouvrement des avoirs volés. Ce cadre institutionnel a été complété par la mise en place, en 2019, de la Haute Cour anticorruption (High Anti-Corruption Court – HACC), chargée d’entendre les affaires de corruption de haut niveau.b0416e036317 Ces organismes travaillent en tandem avec deux organisations qui sont plus largement responsables de l’audit et du contrôle financiers : la Chambre des comptes (une autorité d’audit suprême dont l’indépendance est définie dans la Constitution) et le Service de contrôle des finances publiques (State Audit Service – une section du pouvoir exécutif qui relève du ministre des Finances).
La question générale qui a guidé la présente étude est la suivante : comment et jusqu’à quel degré (dans un contexte de contraintes budgétaires, du fardeau hérité de ses prédécesseurs, et de la guerre en cours) l’Agence pour la reconstruction nouvellement créée s’est-elle associée aux institutions existantes de lutte contre la corruption et s’est-elle immergée dans l’écosystème d’intégrité publique qui se développe ? Basé sur des entretiens menés auprès de 14 parties prenantes clésd715de03da7c de juin à août 2023 et sur l’étude de documents stratégiques, la présente note donne un aperçu de la structure de l’Agence nouvellement créée, du cadre de lutte contre la corruption qui en émerge, et de la collaboration de l’Agence avec les organismes anti-corruption, à savoir la NACP, le NABU et avec la société civile. Nous avons été impressionnés par la vitesse avec laquelle les politiques ont été élaborées en 2023. C’est la principale raison pour laquelle la présente note ne peut qu’offrir un aperçu (et non une évaluation) de l’Agence et mettre en lumière quelques enjeux majeurs en ce qui concerne les ressources humaines et la relation qu’entretient cette autorité exécutive centrale avec ses antennes régionales juridiquement indépendantes.
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L’Agence pour la reconstruction
L’Agence pour la reconstruction et le développement des infrastructures comprend 24 antennes régionales juridiquement indépendantes pour chacune des régions d’Ukraine, appelées « Services pour la reconstruction et le développement des infrastructures » (ci-après les « Services ») et huit entreprises et institutions subordonnées78345261a435 employant au total environ 21 000 personnes.b6629068dc50 Chaque Service emploie approximativement 80 personnes, tandis que 150 salariés travaillent au sein de l’autorité exécutive centrale, à Kiev.
Les opérations de l’Agence sont supervisées et coordonnées par le Cabinet des ministres de l’Ukraine via le vice-Premier ministre pour la reconstruction de l’Ukraine, qui est le ministre du Développement des collectivités, des territoires et des infrastructures de l’Ukraine.
Dans le cadre de la fusion de l’Agence nationale des routes automobiles (Ukravtodor) et de l’Agence nationale pour les projets d’infrastructure (Ukrinfraproyekt), une nouvelle équipe de direction a été nommée. Elle se compose de deux membres externes, Mustafa Nayyem, Directeur de l’Agence, et Valeriia Ivanova, Directrice adjointe, ainsi que de responsables des agences d’origine: Andrii Ivko, premier Directeur adjoint ; Ievhen Kuzkin, Directeur adjoint ; Roman Komendant, Directeur adjoint du développement numérique, de la transformation numérique et de la numérisation. Ce n’est pas par hasard que les membres externes disposent d’une expérience en journalisme d’investigation et en prévention de la corruption.
La nouvelle direction doit relever le défi d’entreprendre des projets importants de reconstruction au beau milieu d’une guerre en cours, tout en intégrant deux agences marquées par un passé douteux d’actes présumés de corruption, de détournement de fonds et de pratiques opaquesde passation de marchés publics.97b56fcd3b7a Après que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a détecté un mécanisme criminel étendu d’utilisation abusive de ses prêts, l’Agence nationale des routes automobiles (Ukravtodor) a dû mettre en place un programme de lutte contre la corruption en 2021.40b0e53d4db2
Au moment de la rédaction de la présente note en automne 2023, la Chambre des comptes et le Service de contrôle des finances publiques menaient chacun un audit des activités passées de l’Agence (censées être celles d’Ukravtodor), ces audits ayant démarré presque simultanément. La direction de l’Agence espère pouvoir tirer parti des résultats de ces deux procédures afin de recenser les lacunes et de les prendre en compte pour aménager de nouvelles politiques.
L’intégration des efforts de lutte contre la corruption au sein de l’Agence pour la reconstruction
Les mesures de lutte contre la corruption de l’Agence sont définies à partir de la politique nationale de lutte contre la corruption et en réponse aux risques évalués au sein de l’organisation. En mars 2023, le Cabinet des ministres ukrainien a adopté le Programme national de lutte contre la corruption pour la période 2023-2025. Celui-ci comprend des mesures spécifiques que l’Agence doit prendre, telles que l’adoption de son propre programme de lutte contre la corruption. En juin 2023, la NACP a lancé un système de surveillance de la mise en œuvre du Programme national de lutte contre la corruption, dont les informations sont accessibles au public. En novembre 2023, l’Agence avait partiellement exécuté deux des sept mesures comprises dans le Programme national de lutte contre la corruption pour la période 2023-2025 (voir section suivante).
Outre ses engagements pris au titre du Programme national de lutte contre la corruption, et avec l’aide d’un groupe de travail sur la lutte contre la corruption, l’Agence a élaboré son propre programme anti-corruption pour évaluer et atténuer les risques de corruption dans ses unités opérationnelles et structurelles. En juillet 2023, par son ordonnance n° H-307, l’Agence pour la reconstruction a adopté son programme de lutte contre la corruption pour la période 2023-202577235eff374e ainsi que les annexes qui l’accompagnent.cfd6d90a2c11
Ledit « Secteur de la prévention et de la détection de la corruption », une division de l’Agence, est habilité à : surveiller et évaluer la mise en œuvre du programme anti-corruption ; coordonner la mise en œuvre du programme par les unités structurelles de l’Agence ; mener des vérifications concernant l’organisation du travail afin de prévenir et de détecter la corruption dans les entreprises, les institutions et les organisations, dans le périmètre de gestion de l’Agence ; mettre au point des mesures pour repérer les conflits d’intérêts et les résoudre, puis informer la Direction de l’Agence et la NACP des conclusions ; vérifier la présentation des déclarations d’intérêts par le personnel de l’Agence et notifier à la NACP les cas de non-présentation ou de présentation hors délais.
Avec l’intégration d’Ukravtodor à l’Agence, les programmes de lutte contre la corruption auparavant mis en œuvre par les divisions territoriales de l’ancienne agence sont devenus obsolètes et ne sont plus appropriés. Par conséquent, les Services ont élaboré de nouveaux registres des risques et approuvé de nouveaux programmes de lutte contre la corruption.Depuis octobre 2023, les Services utilisent un modèle standard. Cette approche permet d’harmoniser les activités des unités régionales et de mettre en œuvre de façon plus cohérente les procédures de lutte contre la corruption.
Chaque entité juridique se voit designer un agent anti-corruption qui est placé sous l’autorité de la direction du secteur. Dans le passé, cette fonction a été très peu utilisée. Afin de concevoir une stratégie de développement professionnel pour les agents anti-corruption, le Ministère a évalué le niveau de connaissances professionnelles et les fonctions des agents, ainsi que l’avancement des travaux de l’organisation en matière de lutte contre la corruption en 2023. Les résultats ont servi de base pour élaborer un nouveau plan de formation et de développement des compétences des agents anti-corruption du Ministère, y compris ceux de l’Agence et des Services.182b2dd0986e
La collaboration de l’Agence pour la reconstruction avec les agences de lutte contre la corruption et les organisations non gouvernementales
L’Agence nationale pour la prévention de la corruption
L’Agence nationale de prévention de la corruption (National Agency on Corruption Prevention – NACP) est chargée d’élaborer des politiques de lutte contre la corruption et d’administrer et vérifier les déclarations d’avoirs. Comme mentionné plus haut, la NACP a lancé un système de surveillance de l’analyse des informations pour, entre autres, suivre la progression de chaque mesure spécifique relevant du Programme national de lutte contre la corruption. La surveillance de la mise en œuvre est effectuée par un analyste accrédité de la NACP qui contrôle les rapports produits par l’Agence, examine d’autres informations concernant l’avancement des mesures relevant du programme, et procède à une analyse complète des rapports.
Les douze mesures confiées à l’Agence pour la reconstruction au titre du Programme national de lutte contre la corruption
L’Agence doit mettre en œuvre 12 mesures au titre du Programme national de lutte contre la corruption pour la période 2023-2025, dont deux étaient déjà partiellement mises en œuvre en novembre 2023 (regroupées ici telles que présentées dans le programme) :
Identification des besoins et affectation des ressources pour son programme de lutte contre la corruption (en cours) ;
2-4) Divulgation de l’éventail complet des informations (comme indiqué dans l’article 3(1) de la loi ukrainienne sur la transparence de l’utilisation des fonds publics) concernant les projets d’infrastructures routières sur le portail Internet unifié relatif à l’utilisation des fonds publics .L’ordonnance a été approuvée par l’Agence mais on ne sait pas trop si les informations concernant les projets d’infrastructures routières doivent être divulguées conformément à l’outil CoST Infrastructure Data Standard (CoST IDS), ni si la publication des données sera faite sous une forme lisible par une machine (partiellement mise en œuvre).
5) Élaboration d’une cartographie ouverte de la construction, de la réparation et de l’exploitation des routes, représentant les appels d’offres lancés et les contrats conclus ; intégration de la cartographie dans le Système électronique national unifié du secteur de la construction (pas encore commencée).
6-10) Introduction de critères exigeant que tous les travaux de construction de routes soient planifiés en tenant compte des conclusions des enquêtes instrumentales (pas encore commencée).
11-12) Contrôle permanent, complet et automatisé de la taille et du poids ; engagement de la responsabilité administrative des affréteurs et des transporteurs qui dépassent les paramètres de taille et de poids ; fourniture d’informations concernant les violations des paramètres de taille et de poids et publication des sanctions imposées sur le site Internet officiel du Service national pour la sécurité du transport de l’Ukraine (la mise en œuvre a commencé).*
* L’avancement de la mise en œuvre du Programme national de lutte contre la corruption est régulièrement mis à jour sur la page suivante : https://dap.nazk.gov.ua/table/?a%5Bstatus%5D=&a%5Bmain_organ%5D=45&a%5Bid%5D=&a%5Bbydate%5D= [ traduction en anglais générée automatiquement].
Le Bureau national de lutte contre la corruption
En mars 2023, deux mois après la création de l’Agence, le Directeur de l’Agence, Mustafa Nayyem, et le Directeur du Bureau national de lutte contre la corruption ((National Anti-Corruption Bureau – NABU)), Semen Kryvonos, ont signé un mémorandum d’accord. Alors que le document réitère en grande partie le pouvoir conféré par la loi au NABU, le geste avait pour objectif de démontrer l’engagement de la nouvelle direction des deux agences en faveur d’une tolérance zéro vis-à-vis de la corruption s’agissant du redressement et de la reconstruction. En particulier, le mémorandum d’accord prévoit ce qui suit :
- la coordination et la coopération dans le domaine de la prévention et de la lutte contre la corruption ;
- la mise au point de mécanismes de contrôle interne visant à prévenir les pots-de-vin et autres délits de corruption au sein de l’Agence ;
- la garantie d’un accès sans entrave au bâtiment de l’Agence pour les agents du NABU et la familiarisation de ces derniers avec les documents et autres supports d’informations sur la prévention des délits relevant de la compétence du Bureau et les enquêtes concernant les faits portés à la connaissance de ce dernier par les agences chargées de l’application de la loi.8f3d1dc83dd3
Au moment des entretiens menés pour la présente note, les interactions entre l’Agence et le NABU avaient apparemment lieu au niveau de la direction des deux organes, y compris l’échange des informations nécessaires pour prévenir et contrer les pratiques de corruption. Le point de vue prévalant exprimé par toutes les parties prenantes est que de telles interactions ne seraient nécessaires que si les choses tournaient mal au niveau de l’Agence et donnaient lieu à des procédures pénales dans lesquelles on s’attendrait à ce que l’Agence coopère avec des agences d’application de la loi telles que le NABU, le Bureau national des enquêtes (State Bureau of Investigations – SBI) et, éventuellement, le Parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption (SAPO).
Cet engagement est devenu réalité en novembre 2023 lorsque Andriy Odarchenko, député et membre de la commission anti-corruption du Parlement, a tenté sans succès de corrompre Mustafa Nayyem, Directeur de l’Agence, avec des bitcoins (d’une valeur approximative de 50 000 dollars). En échange de ce pot-de-vin, Odarchenko réclamait un financement de remise en état pour un projet d’infrastructure placé sous son contrôle. Il a été arrêté par le NABU à la suite du transfert de la première tranche du pot-de-vin, équivalente à 10 000 dollars, sur le portefeuille de crypto-monnaie du lanceur d’alerte.d03b40d9b286
Les organisations de la société civile
En mars 2023, l’Agence a aussi signé un mémorandum d’accord avec la Coalition RISE Ukraine, laquelle rassemble plus de 40 organisations ukrainiennes et internationales en vue de promouvoir les principes d’intégrité, de durabilité et d’efficacité dans le cadre du processus de redressement de l’Ukraine.Les membres de RISE Ukraine ont une expérience fructueuse dans la mise en œuvre de réformes et le lancement de systèmes électroniques publics, parmi lesquels Prozorro et Prozorro.Sale, ainsi que des connaissances spécialisées dans la mise en œuvre de projets d’infrastructure. Le mémorandum d’accord prévoit la conception et la mise en œuvre communes du Système électronique de gestion de la reconstruction (Electronic Reconstruction Management System – ERMS) en tant qu’outil numérique clé pour la gestion et le contrôle des projets. Les parties sont notamment convenues de développer un Système de gestion de la reconstruction spécifique pour chaque secteur relevant du domaine des infrastructures, qui est l’une des composantes essentielles de l’ERMS devant être intégré dans la plateforme DREAM récemment lancée. Des réunions régulières sont organisées pour incorporer les besoins de l’Agence dans le système DREAM.
Les parties sont aussi convenues de collaborer pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies de lutte contre la corruption et pour garantir l’accès aux données ouvertes. Dans le cadre d’une coopération plus large avec la Coalition, des réunions régulières seront tenues pour discuter des moyens de travailler avec les populations locales et de mettre en place des garanties contre la corruption dans les marchés publics et la gestion de projet (précision d’une personne interrogée, 29 août 2023).
En juillet 2023, par son ordonnance n° N-152 du 10 avril 2023, l’Agence a créé en son sein le Conseil pour la transparence et la responsabilité.Les principales missions du Conseil sont les suivantes : mener une analyse systématique des activités de l’Agence, en particulier concernant la prévention et la détection de la corruption, l’efficacité de la mise en œuvre du programme de lutte contre la corruption et les mesures prises pour garantir la transparence et la responsabilité des activités de l’Agence ; promouvoir la coopération entre l’Agence, les OSC et d’autres institutions en ce qui concerne les questions liées aux activités de l’Agence dans le domaine de la prévention de la corruption ; fournir des recommandations à l’Agence et faciliter la mise en œuvre par cette dernière de mesures visant à atténuer les risques de corruption dans ses activités.
Le Conseil est composé de représentants d’OSC renommées qui reçoivent des financements de donateurs internationaux en vue de combattre la corruption, parmi lesquels des représentants des OSC Anti-Corruption Action Center, StateWatch, Anti-Corruption Headquarters et Institute of Legislative Ideas, ainsi que des représentants de la Coalition RISE Ukraine. Lors la première réunion qu’ils ont tenue, les membres du Conseil ont discuté du programme de lutte contre la corruption de l’Agence ainsi que des programmes anti-corruption des Services régionaux, et ont déterminé des domaines prioritaires de réduction des risques de corruption. Les membres de l’organe consultatif sont censés aider à l’élaboration de stratégies internes pour accélérer la mise en œuvre du programme de lutte contre la corruption.
Lors de la deuxième réunion, tenue en octobre 2023, les membres du Conseil ont discuté de questions d’organisation concernant ce qui suit : i) les domaines d’action du Conseil ; ii) la participation de la société civile au recrutement des dirigeants des Services ; iii) la procédure de surveillance et d’analyse des informations diffusées par les médias. Fin 2023, les membres du Conseil avaient commencé à mener des contrôles d’intégrité concernant les candidats au poste de directeur des Services.
Un défi commun : le recrutement de professionnels qualifiés et intègres
Les institutions nouvellement créées comme les anciennes sont confrontées à des contraintes de ressources et à un certain niveau de concurrenceen ce qui concerne le personnel spécialisé dans la lutte contre la corruption. Même avant la guerre, les agences de lutte contre la corruption rencontraient des difficultés de taille, surtout pour recruter du personnel d’encadrement et du personnel spécialisé qui soit qualifié et dont l’intégrité et les compétences techniques soient impeccables, en raison d’une échelle de salaires extrêmement basse. La guerre a entraîné une réduction des capacités au sein des institutions de lutte contre la corruption car certains membres du personnel ont quitté le pays et d’autres ont été réaffectés à différents postes dans lesquels leur expérience et leur intégrité étaient particulièrement nécessaires.L’activité en hausse des donateurs devrait « attirer des cerveaux » en provenance des mêmes institutions que leurs programmes sont censés aider. Le paysage plus large des OSC a déjà du mal à conserver ses professionnels expérimentés en raison d’une concurrence acharnée. Les ressources humaines insuffisantes du NABU suscitent des doutes quant à la capacité de cet organe de faire face à une charge de travail croissante. L’augmentation récente du nombre d’enquêteurs au sein du NABU permet de régler en partie ce problème, bien que des renforts correspondants au sein du Parquet spécialisé (SAPO) et de la Haute Cour anti-corruption soient essentiels pour une collaboration sans faille.
L’Agence est confrontée au même défi pour recruter des professionnels qualifiés à même de mettre en œuvre ses stratégies en toute intégrité. Les dirigeants de l’Agence nomment et révoquent les dirigeants des Services régionaux. Conformément à l’article 36 de la loi ukrainienne sur les administrations locales autonomes, cette procédure requiert l’accord préalable du responsable de l’administration locale concernée. Certains observateurs émettent des critiques quant au statut actuel de l’Agence, car un organe exécutif central ordinaire n’offre pas suffisamment de moyens pour régler correctement les problèmes auxquels l’Agence est confrontée, et voient là le besoin de promulguer une loi dédiée à cette entité pour superviser les efforts de reconstruction (par exemple, Institute of Legislative Ideas 2023).
Étant donné l’échelle basse des salaires au sein de l’Agence par rapport au secteur privé, celle-ci rencontre de réelles difficultés pour attirer des professionnels qualifiés. En dépit de son héritage institutionnel parfois contestable, il est essentiel que l’Agence puisse conserver les anciens membres du personnel d’Ukravtodor (surtout ceux disposant d’une solide expérience technique, de gestion de projet et d’encadrement) et garantir leur alignement et leur engagement en matière d’intégrité institutionnelle.
Les équipes d’appui à la réforme : une solution pour surmonter les contraintes en matière de capacités ?
À la suite de la Révolution de la dignité, le concept d’« Équipes d’appui à la réforme » (Reform Support Teams – RST) a émergé afin de confier les questions politiques et les missions complexes à des experts locaux pour combler les lacunes de qualifications du personnel interne. Ces équipes ont été intégrées dans les échelons dirigeants de l’administration publique ukrainienne (comme les ministères, les agences et les commissions) offrant ainsi un dispositif d’appui externe. Cependant, l’efficacité variable de chacune des équipes a fait ressortir le besoin d’un processus d’évaluation nuancé.
Dans ce contexte, un représentant de l’Agence a souligné la flexibilité des RST, et proposé de les affecter également aux administrations locales (en particulier celles qui prennent part à la reconstruction liée à la guerre). La propre RST de l’Agence, appelée « Bureau du renforcement des capacités » (Capacity Building Office – CBO), a prouvé son efficacité en ralliant divers experts, parmi lesquels des spécialistes de la lutte contre la corruption, des experts en relations internationales, des praticiens de la réforme des marchés publics. Le CBO reçoit des financements de l’USAID, de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et de l’Open Contracting Partnership.
Le financement des RST par les bailleurs internationaux est généralement apprécié, mais il est essentiel de reconnaître que les individus au sein des RST ne sont pas des fonctionnaires et, par conséquent, ne sont pas tenus responsables de la qualité et des conséquences de leur travail de la même façon.De plus, leur accès aux informations est restreint. Malgré ces difficultés, les RST demeurent un instrument indispensable à l’Ukraine, en particulier dans le contexte actuel de la guerre en cours. Bien que davantage d’efforts soient nécessaires pour transférer des connaissances et des capacités au service public, le pays est obligé de continuer à faire appel aux RST pour remplir diverses missions et maintenir ses aspirations euro-atlantiques.
Réflexions pour l’avenir
Ce qui se passe en Ukraine à l’heure actuelle pour garantir que la reconstruction ne soit pas accaparée par des intérêts corrompus est extrêmement novateur et dynamique. Sous la pression et les contraintes d’une guerre en cours et désireux d’œuvrer pour son accession à l’Union européenne, le gouvernement ukrainien a pris de rapides initiatives en 2023 pour intégrer les efforts de lutte contre la corruption dans son cadre de reconstruction.
La nouvelle direction de l’Agence doit relever le défi de mener simultanément une fusion et une préparation à des efforts massifs de reconstruction, tout en prévenant la corruption en son sein. Elle a établi des relations stratégiques avec les principaux organes de lutte contre la corruption, la NACP et le NABU, et s’appuie sur la société civile ainsi que sur d’autres experts nationaux et internationaux, surtout en ce qui concerne la mise au point de mesures de garantie contre la corruption et de surveillance.
L’autonomie opérationnelle actuelle conférée aux antennes régionales, lesquelles continuent de jouir du statut d’entités juridiques distinctes (leur permettant d’agir comme partie contractante dans les marchés publics), devrait garantir une meilleure flexibilité en matière de transaction et de gestion de projet tout en soulevant certaines préoccupations concernant la responsabilité et la corruption. La majeure partie du personnel des antennes régionales n’est pas soumise au régime de déclaration des avoirs, ce qui met en évidence le besoin d’équilibre entre la décentralisation et la surveillance.
Boguslavets et al.2f3f6700b55c et d’autres préconisent que le cadre juridique et le fonctionnement de l’Agence, ainsi que le mandat de celle-ci pour œuvrer à la reconstruction de l’Ukraine, ses procédures particulières de sélection compétitive et les critères de base régissant son interaction avec les autorités et administrations locales et leurs entreprises subordonnées soient réglementés par la loi.
Tout aussi importants seront la collaboration permanente, le soutien, le contrôle et les avis critiques des institutions de lutte contre la corruption et des organisations de la société civile pour veiller à ce que l’Agence remplisse de manière efficace son mandat de reconstruction.
- Kostryba et al. 2023.
- Jenkins 2023 ; Jackson and Lough 2023.
- Kuz and Stephenson 2020 ; Vaughn and Nikolaieva 2021.
- Les entretiens ont été menés auprès de hauts fonctionnaires des institutions suivantes : Agence pour la reconstruction ; Chambre des comptes ; Agence nationale pour la prévention de la corruption ; Bureau national de lutte contre la corruption de l’Ukraine ; ministère du Développement des collectivités, des territoires et des infrastructures de l’Ukraine ; Service de contrôle des finances publiques ; Département d’aide publique du Comité anti-monopole ; Parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption ; Haute Cour anticorruption ; Parlement ukrainien ; Coalition RISE Ukraine ; et Initiative anti-corruption de l’Union européenne.
- Boguslavets et al. 2023.
- Information and Analytical Center for the Public Roads Management ; Automobile Roads of Ukraine JSC SJSC ; Ukrainian Road Science and Technology Center (entreprise publique) ; Ukrainian State Institute for Design of Public Roads (entreprise publique) ; Restoration Project Management Group (entreprise publique) – jusqu’au 19 juillet 2023 appelée Ukrainian Road Investments (entreprise publique) ; State Road Research Institute (entreprise publique) ; Main Bridge Testing Station (entreprise publique) ; Educational Center on Personnel Training, Re-training and Vocational Training (entreprise publique).
- Boguslavets et al. 2023.
- Central Anti-Corruption Bureau 2021 ; Boguslavets 2023.
- Celles-ci comprennent : 1. Missions et mesures visant à mettre en œuvre les principes du programme de lutte contre la corruption (Annexe 1) ; 2. Registre des risques, qui contient les résultats de l’identification des risques, les niveaux de probabilité des conséquences, les niveaux de risques de corruption, ainsi que les mesures de remédiation à ces risques et les étapes de leur mise en place (Annexe 2) ; 3. Programme de formation sur la prévention et la détection de la corruption au sein de l’Agence (Annexe 3) ; 4. Mesures issues de la Stratégie anti-corruption adoptée par la loi ukrainienne sur les principes fondamentaux de la Politique nationale de lutte contre la corruption pour la période 2021-2025 et du Programme national de lutte contre la corruption pour la période 2023-2025, approuvé par la résolution n° 220 du 4 mars 2023 du Cabinet des ministres de l’Ukraine (Annexe 4) : https://restoration.gov.ua/4489/normatyvno-pravova_baza/56118.html.
- Le document se conforme dans une large mesure à la Méthodologie de gestion des risques de corruption approuvée par l’ordonnance n° 830/21 de la NACP du 28 décembre 2021.
- Le plan de formation est accessible à l’adresse suivante : https://mtu.gov.ua/content/antikorupciyniy-komplaens.html.
- Ukrainska Pravda 2023.
- Struck 2023.
- 2023.