La grande corruption représente un grave problème à l’échelle mondiale. Même si les formes les plus flagrantes de corruption sont déclarées illégales dans toutes les juridictions, les élites puissantes de nombreux pays peuvent piller leurs sociétés en toute impunité. C’est en partie parce que les systèmes judiciaires de ces pays se retrouvent eux-mêmes cernés, corrompus ou paralysés par les kleptocrates et leurs alliés. Le nœud corruption-impunité s’entretient : les richesses et le pouvoir obtenus par le biais de la corruption peuvent servir à acheter l’impunité et cette impunité nourrit l’accumulation malhonnête de richesses et de pouvoir.0fa63caaca57 Comment peut-on rompre ce cercle vicieux ?
Une solution proposée serait de créer une cour internationale, calquée sur la Cour pénale internationale (CPI) mais distincte de cette dernière (voir encadré 1). Cette proposition de Cour anti-corruption internationale (CACI) – qui, comme la CPI, aurait un procureur y étant associé – aurait la compétence extraterritoriale de se saisir de délits de corruption commis par des personnalités politiques de haut niveau, actuelles et anciennes, notamment des chefs d’Etat et de gouvernement, ainsi que les personnes qu’ils auraient nommées, et leurs complices. La définition de ces délits se baserait sur les activités que les Etats sont tenus de pénaliser, conformément à la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC). La cour aurait le pouvoir d’imposer aux accusés déclarés coupables des sanctions pénales, telles que l’emprisonnement. La CACI, tout comme la CPI, fonctionnerait selon le principe de « complémentarité », ce qui signifie que la cour serait uniquement compétente dans les affaires pour lesquelles le gouvernement national des personnes suspectes n’a ni la volonté ni la capacité d’entreprendre une enquête de bonne foi, des poursuites ou un procès équitable contre ces personnalités.876f99a32871
La proposition de créer une CACI a récolté le soutien de quelques personnalités politiques et activistes connus ; par ailleurs, plusieurs pays, dont la Colombie et le Pérou, ont réclamé la création d’une telle cour.6e486d0874ff Des gouvernements nationaux, des institutions internationales et des groupes issus de la société civile étudient la possibilité d’allouer plus de moyens, à la fois matériels et politiques, à ce projet. Au cours de ce processus, il y aurait lieu de répondre à diverses critiques et de relever différents défis de façon satisfaisante, au risque de voir la communauté internationale faire fausse route en soutenant la création de cette CACI, plutôt qu’en consacrant de maigres moyens à d’autres réponses innovantes au problème de la grande corruption.ad66064fcdb9
Encadré 1: Un aperçu de la Cour pénale internationale
- La Cour pénale internationale (CPI) a été créée en 1998 en application d’un traité international connu sous le nom de Statut de Rome. Le Statut de Rome est entré en vigueur en juillet 2002 et la CPI a débuté ses activités peu de temps après.
- En décembre 2019, 122 pays étaient déclarés Etats Parties au Statut de Rome, ce qui signifie qu’ils reconnaissent la compétence de la CPI. Parmi la liste de pays notables qui n’ont pas rejoint la CPI se trouvent les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, l’Indonésie et l’Arabie Saoudite.
- La CPI est une structure permanente basée à La Haye et financée par les contributions de ses Etats Parties. Son budget pour 2019 était d’un peu plus de 148 millions d’euros.
- La CPI est composée de quatre organes: les Chambres, comprenant 18 juges élus par les Etats Parties pour un mandat de 9 ans; la Présidence, constituée de trois de ces juges, choisis par leurs pairs; le Bureau du Procureur, un organe indépendant chargé d’enquêter et d’instruire les affaires; et le Greffe qui fournit un soutien administratif.
- Conformément au Statut de Rome, la CPI est compétente pour les délits qui concernent les génocides, crimes de guerres et autres crimes contre l’humanité. La dernière catégorie inclut des crimes tels que le meurtre, le viol, l’asservissement, la torture et « d’autres actes inhumains » lorsqu’ils sont commis délibérément dans le cadre d’une « attaque généralisée ou systématique » lancée contre une population civile.
- La CPI détient la compétence personnelle sur les individus qui commettent un crime sur le territoire d’un Etat Partie ou sur les ressortissants d’un Etat Partie, ainsi que sur les affaires qui lui ont été renvoyées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. La CPI peut délivrer des mandats d’arrêt, mais ne dispose pas de forces de police propres, ce qui signifie que les Etats Parties sont tenus d’exécuter les mandats d’arrêt émis par la CPI.
- La compétence de la CPI est basée sur le principe de complémentarité, ce qui signifie que la CPI ne peut engager de poursuites que si le gouvernement national n’a ni la volonté ni la capacité de le faire.
- La CPI peut infliger des peines d’emprisonnement, ainsi que des amendes et la confiscation de biens.
- Au cours de ses 17 années d’activité, la CPI a été saisie de 27 affaires, certaines comportant plusieurs prévenus, et a rendu neuf condamnations et quatre acquittements. Certaines affaires ont été classées sans suite en raison du décès des prévenus, tandis que d’autres sont toujours en cours.
Sources: A propos de la CPI et Mieux comprendre la Cour pénale internationale sur le site web de la CPI.
Arguments en faveur d’une Cour internationale de lutte contre la corruption
D’après ses partisans, le projet de CACI permettrait de rompre le cercle vicieux de la corruption et de l’impunité en donnant du pouvoir à un organisme externe – une cour internationale, avec un bureau du procureur y étant associé – afin de tenir pénalement responsables de délits de corruption d’éminents dirigeants de gouvernement et leurs associés, lorsque les systèmes judiciaires des pays de ces dirigeants n’ont ni la volonté ni la capacité de le faire. Créer une CACI disposant de cette autorité a le potentiel de diminuer de manière significative la grande corruption, et ce, pour trois raisons.442831caebe0
La première raison est qu’une telle cour aurait un effet de dissuasion. A l’heure actuelle, les kleptocrates issus de pays aux systèmes judiciaires faibles, politisés ou corrompus ne sont inquiétés par aucune sanction. L’existence d’un organisme international qui aurait l’autorité d’arrêter, de juger, de condamner et d’emprisonner jusqu’à des chefs d’Etat ou de gouvernement dissuaderait les malfaiteurs éventuels de commettre de tels crimes. En outre, dans la mesure où les kleptocrates pourraient uniquement éviter l’éventualité d’une arrestation en restant dans leur pays d’origine, une CACI leur imposerait de facto une interdiction de voyager – ce qui est déjà une sanction en soi – et qui pourrait les dissuader de commettre des actes de corruption.
Deuxièmement, puisque la CACI proposée fonctionnerait sur le principe de complémentarité, l’existence d’une telle cour offrirait aux pays une motivation pour améliorer leurs systèmes judiciaires nationaux afin de prouver à la communauté internationale que la compétence de la CACI est superflue. Par conséquent, la création d’une CACI pourrait jouer le rôle de catalyseur de réformes nationales qui rendraient les poursuites et condamnations pour grande corruption plus faciles à mettre en œuvre.
La troisième raison pour laquelle une CACI pourrait contribuer à la lutte contre la grande corruption ressort du symbolisme politique. Autant la création d’une CPI exprimait l’intolérance de la communauté mondiale face aux génocides et crimes de guerre, autant la création d’une CACI pourrait envoyer un signal fort à la communauté internationale quant à l’intolérance à l’égard de la grande corruption. Des réformateurs et des activistes pourraient être stimulés afin de faire pression en faveur d’autres mesures qui mettraient un terme à l’impunité. L’existence même de la CACI, de ce point de vue, offrirait une lueur d’espoir à ceux qui se battent contre la corruption dans le monde entier.a07210e0b838
Deux axes principaux font l’objet de critiques en ce qui concerne la proposition d’une CACI. Le premier concerne la faisabilité et le second concerne l’efficacité.
Inquiétudes quant à la faisabilité politique
Pour qu’une CACI puisse exercer sa compétence sur les dirigeants d’un pays, ce pays doit nécessairement accepter de son plein gré de rejoindre la CACI. Toutefois, le premier motif pour l’établissement d’une CACI est précisément que les dirigeants de certains pays refusent de pouvoir être tenus pénalement responsables de leurs actes. Pourquoi un dirigeant refusant de se voir tenu responsable de ses actes au niveau national accepterait-il néanmoins de se soumettre à la compétence d’une cour internationale capable d’imposer des poursuites pénales similaires ? Tout pays désireux d’adhérer à une CACI (en ordre de marche) devrait vraisemblablement avoir la volonté de réformer son système judiciaire national afin que même les hauts dirigeants puissent être tenus responsables de leurs actes.064be0df9c95
Les partisans de la CACI ont suggéré une série de méthodes par lesquelles les pays (dont ceux dirigés par des kleptocrates) pourraient être incités à rejoindre une CACI. Ces suggestions incluent l'adhésion à la CACI comme condition d'adhésion à la CNUCC et à l'Organisation mondiale du commerce (OMS), et comme condition préalable pour recevoir de l'aide et de l’assistance étrangère bilatérale de la part des banques internationales de développement.76f3f3b4073a Toutefois, plusieurs problèmes sont susceptibles de découler de cette stratégie coercitive.60a6301ab9f5
Premièrement, un grand nombre de pays qui pourraient être peu disposés à rejoindre la CACI ont une voix, et souvent un droit de veto, dans ces institutions internationales existantes. La CNUCC n’est pas habilitée à se réformer elle-même; ses Etats Parties doivent accepter un amendement. Il est difficile d'envisager que les membres de la CNUCC fassent de l'adhésion à la CACI une condition préalable à l'adhésion à la CNUCC si cela est inacceptable pour un grand nombre des membres actuels, y compris des protagonistes-clés comme les Etats-Unis, la Chine ou la Russie. Parallèlement, l’OMS et la Banque mondiale ne pourraient pas simplement imposer de nouvelles conditions en faisant fi des objections de leurs Etats membres.
Le second problème est que ces mesures coercitives, même si elles étaient d’application, ne seraient sans doute pas suffisantes. Prenons le cas d’un dirigeant kleptocrate d’un pays en développement qui devrait choisir entre deux options : faire perdre à son pays l’accès à l’assistance au développement et aux marchés internationaux ou être personnellement exposé à une arrestation et à un emprisonnement. Cette dernière préoccupation risquerait de prévaloir, du moins dans les kleptocraties que la CACI viserait. Par ailleurs, si les institutions mettaient leurs menaces à exécution – exclure de l’économie internationale les pays qui refuseraient de rejoindre la CACI – cela nuirait aux citoyens innocents de ces pays. Et couper l’aide et nuire au commerce pourrait même aggraver le problème de corruption.e265fdbb7326
Une troisième inquiétude concerne les territoires riches, comme les Etats-Unis ou des pays de l’Union européenne : s’ils ne se soumettaient pas à la compétence de la CACI, mais utilisaient ce genre de pressions pour contraindre d’autres pays à s’y soumettre, on assisterait au retour de la vieille rengaine selon laquelle la lutte contre la corruption est une forme de néo-colonialisme occidental. Cela pourrait en fait renforcer la position politique des dirigeants kleptocrates.3503e68b472f
Certains partisans de la CACI ont suggéré que la compétence de la CACI puisse s’étendre également aux dirigeants des pays qui n’auraient pas rejoint la cour.f5e3430d1472 Ils prétendent que, puisque la grande corruption présente une menace pour la paix et la sécurité mondiale, le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) devrait être habilité à renvoyer devant la CPI des dirigeants de n’importe quel pays, en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui autorise le CSNU à intenter des actions « en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ». Cependant, du point de vue juridique, on ne définit pas clairement si le Chapitre VII s’appliquerait à une cour anti-corruption.df50503373bf Même en faisant fi de l’aspect juridique, les membres permanents du CSNU (les Etats-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et la France) devraient tous avoir la volonté de renvoyer devant la CACI des dirigeants individuels issus de pays non-membres, ou du moins de ne pas bloquer un tel renvoi. Cela semble peu probable dans la plupart des cas.6b565de848af Les dirigeants alliés à n’importe quel membre permanent pourraient raisonnablement présumer qu’ils ne seraient pas traînés devant la CACI contre leur gré. Il semble plausible que seuls les dirigeants de pays marginalisés courraient ce risque.bdf610d00b5f
Inquiétudes quant à l’efficacité
La création d’une CACI, comme souligné précédemment, repose principalement sur l’idée qu’une telle cour créerait un effet de dissuasion envers les kleptocrates qui bénéficient actuellement d’une impunité de facto. Cependant, il y a des raisons d’être sceptiques quant au véritable effet de dissuasion de la CACI.
Le problème principal est l’arsenal limité d’outils à la disposition des procureurs des tribunaux internationaux pour enquêter sur les crimes commis. Ces procureurs ne peuvent ni assigner à comparaître pour obtenir des relevés téléphoniques ou financiers, ni autoriser des mises sur écoute, ni procéder à des perquisitions, ni contraindre des témoins à comparaître ou à témoigner. Pour rassembler des preuves, ils sont presque entièrement tributaires de la coopération des autorités policières nationales.294948e08a8a Cette contrainte concerne tous les tribunaux existants, tels que la CPI et les tribunaux établis dans chacun des pays qui enquêtent sur les crimes de guerre et les génocides. Dans les affaires dont ces tribunaux sont saisis, les instructions et les poursuites ont généralement lieu après les faits, souvent sous la houlette d’un nouveau gouvernement qui a tout intérêt à soutenir l’instruction, ou du moins à ne pas y faire obstruction. Comme mentionné précédemment, dans certaines affaires de grande corruption, l’instruction et les poursuites peuvent aussi avoir lieu après un changement de régime, mais les principales justifications pour la création d’une CACI ont mis l’accent sur l’impunité des chefs d’Etats et autres hauts fonctionnaires en exercice. Les procureurs de la CACI – en partant du principe que leur fonction est calquée sur celle des procureurs de tribunaux existants tels que la CPI – ne disposeraient pas des mêmes outils d’enquête que les procureurs nationaux pour instruire des crimes financiers complexes. Néanmoins, on peut supposer que, dans les affaires que la CACI serait censée traiter, les autorités policières nationales seraient corrompues ou compromises par ailleurs et n’auraient ni la volonté ni la capacité de collaborer efficacement. En pratique, il est impossible pour un tribunal international de fonctionner correctement sans la coopération du pouvoir faisant l’objet de l’enquête.3da2cda81527
De plus, même si la CACI était capable d’obtenir des condamnations pour quelques affaires, rien ne dit que le nombre serait suffisamment élevé pour justifier les coûts d’opportunité de la création et du maintien de cette cour. Il n’y a actuellement aucune estimation de coûts pour la CACI, mais on peut se baser sur les coûts des tribunaux internationaux existants, en particulier la CPI. Les coûts moyens de fonctionnement de la CPI ont avoisiné les 100 millions $ USpar an ; ce montant a augmenté au fil du temps pour s’approcher aujourd’hui des 160 millions $ US.e3187cbb871c Si la communauté internationale devait dépenser 100 millions $ par an pour lutter contre la grande corruption, cet argent pourrait potentiellement être employé plus judicieusement que dans une cour internationale, surtout si cette cour ne réussissait qu’à obtenir une ou deux condamnations par décennie. Il devrait être possible d’amortir certains coûts de fonctionnement de la CACI grâce à des sommes recouvrées provenant d’affaires de grande corruption.7671bf620fea Cependant, cela serait uniquement possible après une condamnation, et uniquement si l’argent volé pouvait être récupéré ; en outre, une telle approche entrerait en contradiction avec l’opinion très répandue selon laquelle les avoirs recouvrés devraient être affectés à l’aide aux victimes des pays dans lesquels ces avoirs ont été volés.da0ec4235974
Pour faire avancer la discussion
La motivation qui sous-tend les efforts en faveur d’une CACI vient de l’identification du besoin de rompre le cercle vicieux de la corruption et de l’impunité, qui s’entretient, et qui se perpétue dans de nombreux pays.Toutefois, un plan concret d’actions qui permettrait de surmonter les obstacles opérationnels concernant la faisabilité politique et l’efficacité doit encore être formulé.
En l’absence (actuelle) d’un tel plan, la communauté internationale pourrait continuer à travailler avec et au sein des structures et programmes actuels afin de poursuivre une série de solutions alternatives pour lutter contre la corruption et l’impunité.21f2d6aed0a7 Certaines de ces possibilités sont listées ci-après. Elles présentent toutes des avantages et des inconvénients, tout comme la proposition de la CACI. Par ailleurs, ces options ne sont ni exhaustives, ni incompatibles avec la création de la CACI ; la communauté internationale pourrait à la fois soutenir la création de la CACI, tout en soutenant tout ou une partie de ces autres propositions dans le cadre d’une stratégie globale de lutte contre la grande corruption.
Etendre les compétences de la CPI pour y inclure la grande corruption
Au lieu de créer une nouvelle cour qui serait distincte de la CPI, certains ont laissé entendre qu’il serait possible de (ré)-interpréter les dispositions actuelles du Statut de Rome concernant les compétences de la CPI, qui couvrent « d’autres actes inhumains », y incluant alors la grande corruption.a6d801215dd6 Roht-Arriaza et Martinez9fbf9ca730f8 prônent une telle approche dans le cadre de l’examen (préliminaire) par le procureur de la CPI dans le cas du Venezuela.
Habiliter et encourager les tribunaux régionaux des droits de l’homme à exercer une compétence sur les crimes liés à la corruption
Plusieurs tribunaux régionaux des droits de l’homme existent déjà, et puisque la corruption va si souvent de pair avec des atteintes aux droits de l’homme – et d’après certains experts, est en soi une violation des droits de l’homme – il pourrait être possible pour des tribunaux régionaux des droits de l’homme d’exercer une compétence sur certaines formes de grande corruption.6317b3635a82
Impulser la création d’organismes d’enquête internationaux qui visent la corruption et l’impunité
La commission de lutte contre l’impunité au Guatemala, soutenue par l’ONU et connue sous son acronyme espagnol CICIG, était une structure autonome dirigée par un commissaire non-guatémaltèque, et avait le pouvoir d’enquêter sur des méfaits commis par des responsables haut-placés. Même si la CICIG a finalement été dissoute, elle a obtenu des résultats remarquables en enquêtant sur des personnalités puissantes, notamment le président et le vice-président.6f7c2b69f638 D’autres pays testent actuellement des variantes du modèle CICIG.43747b73967d La communauté internationale pourrait promouvoir la création de telles structures dans des pays dans lesquels l’impunité constitue toujours un problème majeur.
Soutenir la création d’institutions nationales de lutte contre la corruption, notamment des juridictions spécialisées dans la lutte contre la corruption
Tandis que les partisans de la CACI souhaitent que la communauté internationale joue de son influence pour pousser les pays à accepter la compétence d’un tribunal international anti-corruption, la communauté internationale pourrait également exhorter chaque pays à réformer ses institutions nationales afin de s’attaquer au problème de l’impunité, notamment en créant des juridictions spécialisées dans la lutte contre la corruption et en nommant des procureurs. Plus de 20 pays disposent déjà de telles juridictions.0c7174bb851e De plus, là où des inquiétudes quant à l’indépendance et à l’intégrité de ces structures existent, des bailleurs de fonds internationaux pourraient exiger une intervention plus importante d’experts externes dans le processus de sélection, comme c’est le cas en Ukraine.84d3f9d42154 La communauté internationale pourrait aussi user de son influence afin de dissuader les pays de faire obstruction ou de nuire à ces institutions lorsqu’elle celles-ci menacent les intérêts de personnalités puissantes.
Renforcer les capacités de saisie, confiscation et recouvrement de biens
Au vu des difficultés de tenir les kleptocrates pénalement responsables de leurs délits dans leurs pays d’origine, de nombreux experts dans la lutte contre la corruption soutiennent que la meilleure approche, du moins à court terme, serait de se concentrer sur les avoirs volés par les hauts fonctionnaires, avoirs qui sont souvent détenus à l’étranger. Les pays qui n’ont pas de compétence personnelle sur les kleptocrates pourraient néanmoins exercer une compétence sur les avoirs volés. La communauté internationale pourrait s’atteler à renforcer les institutions dédiées à la saisie des biens et à améliorer les lois afin de rendre le processus plus efficace. Puisque le but ultime est de rendre les avoirs volés aux victimes du pays d’origine, il est possible de travailler davantage sur la piste d’un meilleur encadrement du recouvrement des avoirs. L’ l’initiative pour la restitution des avoirs volés (StAR) a déployé des efforts considérables dans ce domaine depuis 2007. Lors d’un Forum mondial sur le recouvrement d’avoirs en 2017, le Nigéria, l’Ukraine, la Tunisie et le Sri Lanka ont développé et adopté les Principes pour la disposition et le transfert des avoirs volés confisqués dans les affaires de corruption. L’adoption prochaine de ces Principes et le suivi de leur mise en œuvre devraient être soutenus par la communauté internationale, à l’instar du cas du recouvrement des avoirs de l’ancien président du Nigéria Abacha.
Renforcer le cadre de la lutte internationale contre le blanchiment de capitaux
Renforcer le système international contre le blanchiment d'argent (acronyme anglais AML) pourrait compliquer la tâche des acteurs corrompus qui voudraient dissimuler leurs avoirs, et augmenter les coûts qu’ils devraient assumer pour une telle opération. Un meilleur cadre AML pourrait offrir une plus grande transparence quant aux véritables bénéficiaires d’entités juridiques, des mesures de répression sur les intermédiaires (avocats, comptables, agents d’enregistrement et autres acteurs qui rendent possible le blanchiment d’argent), et une plus importante coopération/coordination internationale. Plusieurs initiatives existent, la plus aboutie étant le Groupe d'action financière (GAFI), qui contrôle, depuis 30 ans, le respect de ses recommandations au niveau international.
Etendre les compétences des juridictions nationales aux poursuites privées à l’encontre des kleptocrates
En plus de la confiscation des avoirs par les Etats, certaines instances permettent à des parties privées de poursuivre les kleptocrates, et ces poursuites peuvent mener à des jugements inconcevables dans les pays d’origine des kleptocrates. Par exemple, une coalition de groupements issus de la société civile a intenté une action en France contre le vice-président de la Guinée équatoriale au nom des citoyens de ce pays, et a gagné un jugement important.ac380920d427 Alors que de telles actions ne sont pas réalisables dans tous les pays, considérant les règles de compétence et de procédure variées, étendre la mise à disposition de telles actions et renforcer les capacités de les mener à bien pourrait constituer une autre façon pour la communauté internationale de contrer l’impunité dont bénéficient les kleptocrates dans leur propre pays.
Recourir davantage aux sanctions individuelles et aux interdictions de voyager
En plus de poursuivre le recouvrement du butin dérobé, la communauté internationale pourrait imposer des coûts aux kleptocrates en recourant davantage aux sanctions individuelles ciblées, notamment aux mesures restreignant l’accès au système financier ou en imposant des interdictions de voyager qui s’appliqueraient aussi aux familles des hauts dirigeants. Un exemple de cette approche est la loi Magnitski aux Etats-Unis. L’usage de telles mesures ciblées est controversé, particulièrement lorsque les personnes visées n’ont été condamnées pour aucun crime, mais l’argument en faveur de ces mesures souligne leur effet avéré qui est de tenir des hauts fonctionnaires et d’autres personnes responsables de leurs actes alors qu’ils ne devraient pas rendre de comptes dans leurs pays d’origine.
Etendre et renforcer les mécanismes internationaux d’examen par les pairs
La CNUCC et diverses autres conventions anti-corruption disposent de mécanismes d’examen par les pairs pour évaluer le respect des dispositions par les Etats membres. Néanmoins, beaucoup de ces mécanismes existants, notamment celui de la CNUCC, pourraient être renforcés afin de mettre la pression sur les pays dont les dirigeants bénéficient de l’impunité de facto. Une telle « dénonciation et stigmatisation » pourrait inciter les pays à réformer leurs institutions et encourager ou stimuler les efforts nationaux afin d’insuffler des changements politiques et institutionnels considérables.
- Stephenson 2019.
- Wolf 2014, 2018.
- Stephenson 2014a, 2016; Whiting 2018.
- Alsema 2019; ONUDC 2019.
- Wolf 2014, 2018.
- Goldstone et Rotberg 2018.
- Stephenson 2014a, 2016.
- Stephenson 2014a, 2016.
- Wolf 2014, 2018.
- Badinger et Nindl 2014; Calderwood 2018.
- Stephenson 2014a, 2014b.
- Voir, par exemple, Clifford 2019 sur les allégations de partialité dans les affaires traitées par la CPI.
- Schaefer, Groves, et Roberts 2014.
- Whiting 2018.
- Wolf 2018.
- Cassese 2009.
- Whiting 2018.
- Forum mondial sur le recouvrement d’avoirs 2017.
- Wolf 2018.
- CPI 2019.
- Stephenson 2018.
- 2019.
- PILPG 2019; GOPAC 2013; Starr 2007.
- Beach 2016; Clifford 2019.
- Messick 2019.
- Kuris 2019.
- Kuz et Stephenson, disponible prochainement.
- Stephenson et Schütte 2016.
- Pouget et Hurwitz 2017.